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Portrait: On the edge...

On parle de trouble psychiatrique, un sujet qui me tient particulièrement à coeur.


L'année passée, j'avais rencontré Mélissa et j'avais eu la chance qu'elle me confie son histoire. Anorexique depuis plusieurs années, elle m'avait fait part de ses souffrances, de ses efforts pour guérir, de ses combats contre elle-même.

Malheureusement, suite à un gros souci avec mon blog, j'ai perdu cet article.


Aujourd'hui, je souhaite vous parler de Johanna, 30 ans.


Johanna est française, elle habite près de Lille. Je l'ai rencontrée sur un groupe sur Facebook qui a pour thème les maladies psychiatriques et les fragilités qu'elles provoquent chez la personne qui en est atteinte.


Chaque jour est un combat lorsqu'on souffre d'un trouble psychiatrique, un combat contre soi-même. Chaque jour peut révéler une nouvelle surprise. Et elles sont souvent mauvaises.


Johanna me confie que, chaque année, son trouble évolue. Elle souffre du trouble de la personnalité limite, en anglais: borderline.

Elle perçoit une évolution de ce trouble et de certains symptômes. Certainement à cause de l'âge, de ce qu'elle vit au quotidien, de nouvelles expériences aussi.


Lorsqu'on est borderline, chaque nouvelle expérience peut nous faire évoluer et faire évoluer le trouble aussi. Il est parfois un peu difficile de faire la distinction entre moi, ma personnalité, la vraie Johanna, et le trouble. Nous sommes parfois comme deux personnes différentes dans un seul corps. Moi-même je ne fais pas toujours la distinction entre les deux tant la limite est mince. Mais je me refuse de penser que je suis limitée à ce trouble.

Par le passé, la jeune femme avait déjà constaté des humeurs changeantes, des émotions trop intenses, des comportements parfois surréalistes, qu'ils soient irresponsables, chevronnés, inconscients, même involontaires. Ou, au contraire, euphoriques, joyeux ou encore rapides et compulsifs.


Elle se sent depuis longtemps guidée par un flot de sentiments différents, souvent extrêmes et opposés. Tiraillée par des idées saugrenues, il lui arrive de "se réveiller" en plein jour et se demander pourquoi elle agit de la sorte, ne pas trouver de réponse, ne pas comprendre le sens de ce qu'elle est occupée à faire. On appelle cela la dissociation. C'est ce même phénomène qui lui a permis de survivre à certains traumatismes dans la petite enfance.


Les crises de colère et d'angoisse ne sont pas les seuls symptômes du trouble borderline. Elle se sent très souvent abandonnée et en colère contre ceux qui l'entourent. Ses émotions sont instables, elle peut changer d'avis sur ses amis, son boulot ou une idée d'une heure à l'autre.


La colère et la peur peuvent être exprimées de façon violente et soudaine. Cela rend les relations aux autres difficiles.


Il m'arrive de me sentir consternée, impuissante, parfois même totalement vidée. Et puis je peux être aussi très fatiguée, ou en colère sans parvenir à contrôler cette colère. Parfois je crie, je me frapperais la tête au mur, j'ai d'ailleurs eu tendance à me scarifier par le passer ou à adopter des comportements dangereux pour moi-même.

Depuis qu'elle est jeune, Johanna me confie qu'elle se sent différente, comme venue d'un autre monde. Elle a toujours ressenti les choses différemment sans vraiment pouvoir l'expliquer, mettre des mots sur ses émotions qu'elle reconnait comme étant envahissantes.


Depuis son diagnostic à l'âge de 29 ans, elle se sent pourtant soulagée grâce à la reconnaissance de ce qu'elle vit. Elle n'est plus seule, elle est accompagnée par un psychiatre qui la suit régulièrement.

Pouvoir mettre un mot sur ce qu'on vit, aide également à accepter.


Quand j'étais petite, j'ai vécu dans une famille d'accueil car mes parents n'étaient pas en mesure de prendre soin de moi. Mon père était malade, ma mère avait d'autres préoccupations. Je suis retournée vivre avec eux lorsque j'ai eu 7 ans et la vie en famille m'a semblé très difficile. Ils ont fait de leur mieux lorsque nous nous sommes retrouvés, ils étaient accompagnés par une assistante sociale et moi par un psychologue très gentil.

Johanna a développé des troubles du comportement à l'adolescence. Elle subissait des crises d'anorexie et traversait des phases dépressives intenses.


Ses parents qui tentaient de l'aider ne pouvaient rien, ou pas grand chose. Ils ont pris des rendez-vous chez des médecins, des psychologues, ils se rendaient à l'école avec leur fille pour tenter d'ouvrir un dialogue avec les enseignants.

En vain.

Ce trouble est méconnu, et la psychiatrie fait peur. Mes parents avaient peur pour moi, ils essayaient d'en parler autour d'eux pour recevoir des conseils mais, en même temps, ils n'osaient pas toujours mettre des mots clairs sur ce que je vivais car cela faisait peur aux gens. Aux autres.

La jeune fille a grandi en développant d'autres symptômes ainsi que de grandes difficultés relationnelles. Il lui était impossible d'être stable dans une relation amoureuse ou de faire des projets réalisables, son imaginaire et les phases euphoriques prenant le dessus très souvent.


Par contre, je ne suis plus capable de travailler ni de manger correctement lorsque je traverse une phase "down". J'alterne crises de boulimie, crises de pleurs et d'angoisses, je ne ressens plus qu'une immense tristesse et du désarroi.

J'ai lu cette phrase : I'm on the edge of a cliff, listening. C'est tellement ça.

Au bord d'une falaise, d'un gouffre, d'un immense vide qui m'aspire peu à peu. Et je suis là à attendre, écouter, je suis aux aguets.

Johanna me confie qu'elle a également cette sensation que le monde est malveillant. Ceux qu'elle croise lui en veulent, ils ne la comprennent pas et, pire que cela, ils parlent pour la blesser, agissent pour lui nuir.

Cette sensation d'être persécuté et ce symptôme paranoïaque sont fréquents chez les borderlines.


Le côté très compliqué du borderline est justement de distinguer ce qui est vrai, réel, ancré, de ce qui est limite, touché en plein par le trouble. Cette perception de la malveillance des autres à son égard est causée par le trouble. Et elle le sait.


Mais une fois dans l'action, elle réagit comme si elle n'en était plus consciente. Il est plus fort qu'elle, il agit à sa place, il parle à sa place. Il la rend alors méfiante, susceptible, difficile à cerner.


L'impression d'être jugée ou la peur d'être abandonnée la gagne et l'envahit. Dans son esprit, elle fait le tour à 1000 à l'heure de ce qui pourrait ne pas "tourner rond" chez elle: pourquoi les autres me regardent de travers ? Pourquoi ne veulent-ils pas me parler ? Ou apprendre à me connaitre ?


La culpabilité prend souvent le dessus sur le remord ou encore la capacité à positiver. La dissociation ne lui permet pas non plus d'être lucide et clairvoyante à certains moments compliqués alors qu'elle est une jeune fille pétillante et volontaire.


La conséquence de ce sentiment d'impuissance et de cet immense vide en elle ?

  • Elle est prostrée, incapable d'agir, elle assiste impuissante à la vie qui suit son court, autour d'elle. Travailler, cuisiner, marcher, tout cela devient difficile.

  • Elle ne parvient pas à se concentrer, son esprit fuit ailleurs, partout ailleurs sans parvenir à se fixer. Lire, travailler ou même cuisiner n'est plus possible.

  • Elle rumine encore et encore, son corps est raidi par l'angoisse, par cette peur de malveillance de la part des autres, mais son esprit tente de se justifier chaque seconde, de comprendre aussi "pourquoi". Alors qu'il n'existe pas de "parce que". Il tente de se soustraire à un mode de penser qu'il crée.

  • Elle est hypersensible à beaucoup de choses pour lesquelles, souvent, elle ne peut rien.

J'ai toujours été hypersensible à ce qui m'entoure. Autant physiquement qu'émotionnellement. Je peux pleurer à la vue d'un oiseau blessé, penser des heures durant à une fourmi écrasée. Je peux aussi ne pas dissocier ce que j'ai lu dans un roman de la réalité et cogiter sur cela durant des jours. Je ne parviens pas toujours à accepter mon impuissance face à la vie, à la mort...

Malgré un sommeil de plomb, Johanna se réveille exténuée de nombreuses fois par semaine. Elle détecte également les passages "bas" car ses rêves sont parfois sombres, violents.


Ces rêves, ces chauchemars. Quand le trouble prend le dessus, ils sont toujours l'un des symptômes des plus difficiles à gérer.

Lorsque mon cerveau atteint la phase de sommeil profond, je ne me souviens plus de rien.
Mais trouver le sommeil est compliqué car je redoute déjà ces cauchemars. Le réveil l'est tout autant car la torpeur m'attend là, à la sortie du lit, accompagnée par le souvenir de toutes ces terreurs nocturnes.

Certains jours semblent longs, chaque minute est un combat contre soi-même. En un instant, elle bascule dans le trouble et le laisse l'envahir, elle a été moins vigilante...

Et lorsque cela se produit, elle se sent mal, mal dans sa peau, énervée, devient susceptible et la moindre petite contrariété devient un réel obstacle à surmonter.

Dans mon esprit c'est la confusion, la tristesse, l'incompréhension de ce regard malveillant que je perçois, à tort, et que je supporte très mal. Ou alors, ça peut être un regret qui chamboule ma vie tout à coup. Une once de mélancolie qui vient foutre en l'air ma journée.

Alors j'essaie, dès que mon esprit semble réagir, de m'extirper de ce sort. Pensées positives, objets colorés, messages gentils, sont autant d'éléments que je tente d'attirer vers moi pour chasser le négatif, combattre le trouble qui tente encore et encore de prendre le dessus.

Il est difficile de sortir de cette angoisse mais les quelques instants de lucidité le lui permettent parfois.


Pour mon entourage cette situation est aussi très pénible à vivre. Ils ne savent pas toujours comment agir ou réagir face à ce que je vis. D'autant plus que mes émotions ne se voient pas. Il est donc difficile de savoir dans quelle humeur je suis.

Impuissance et sentiment d'injustice font partie de son quotidien de jeune femme mais aussi de son entourage: parents, petit amis, amies... même si Johanna parle très peu de ce trouble, elle ne parvient pas toujours à le cacher. Et les personnes de son entourage qui la connaissent bien détectent souvent certaines phases sombres qu'elle traverse.

Quand on est borderline, il est parfois compliqué d'entretenir une amitié ou une relation amoureuse. Je voudrais tellement vivre avec un homme, l'aimer, fonder une famille, construire un projet, voyager, mais mes angoisses m'en empêchent.

On the edge... A la limite du temps, à la limite de soi-même... Entre psychose et névrose, entre conscience et inconscience, entre virées imaginaires et réalité.


Merci Johanna pour ton récit et ton temps ♥



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