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Portrait: être une mère toxique

Grandir avec une mère toxique provoque chez l’enfant et le futur adulte des blessures et des cicatrices invisibles mais douloureuses et profondes.

Nombreux sont les témoignages d’adolescents et d’adultes relatant leur grande souffrance d’avoir subi les jalousies, les excès, les maltraitances de leur mère.


Mais qui sont ces mamans toxiques qui empoisonnent à ce point le quotidien de leur enfant ?

Comme la romancière américaine se plait à le dire: il n’y a aucune recette pour devenir une mère parfaite. Il existe 1001 façons d’être une bonne mère.


Mais à l'inverse, une mère peut être toxique de plusieurs façons: il y a les mères qui frappent dont les coups sont visibles. Il y a aussi les mères jalouses de leur fille, qui entrent en compétition permanente avec elle, se comparent sans cesse à elle.


Certaines sont excessives, étouffent leurs enfants. Les privent de leur propre identité. Les utilisent à leur gré selon leurs besoins et envies ou encore, procèdent à du chantage affectif excessif.


D'autres ont la volonté de bien faire. C’est le cas de la protagoniste du roman de Jeffrey Eugenides, publié en 1993, et adapté au grand écran par Sofia Coppola sous le titre Virgin Suicides.

« Le roman raconte l’histoire des sœurs Lisbon, issues d’une famille puritaine de Grosse Pointe, une banlieue aisée de Détroit, dans les années 1970. Ronnie, professeur de mathématiques, et sa femme ont cinq filles : Cecilia (13 ans), Lux (14 ans), Bonnie (15 ans), Mary (16 ans) et Thérèse (17 ans). La vie de ce foyer apparemment sans histoire est bouleversée lorsque Cecilia attente à sa vie en se coupant les veines, puis quelques semaines plus tard se suicide en se jetant de la fenêtre de sa chambre.
Tentant de reprendre en main la situation, la mère déscolarise ses filles pour les couper de l’influence d’un monde néfaste. Le roman raconte les tentatives des jeunes voisins des sœurs Lisbon pour entrer en communication avec elles, et surtout pour comprendre, des années plus tard, le mystère de ces êtres à peine connus. »

Si on lit très souvent les témoignages de leurs victimes, on entend moins celui de ces mamans qui, parfois victimes elles-mêmes de traumatismes, privent leurs enfants de l’insouciance et du bonheur qu’ils auraient mérité.


J’ai eu la chance de rencontrer Marie et Ophélie entre deux conversations sur un forum d'échanges.


Marie est âgée de 56 ans, sa fille Ophélie est âgée de 28 ans.


Ophélie se livre peu au sujet de la relation avec sa mère. Elle est discrète et pudique: la question est douloureuse, elle n’en parle jamais ni à ses copines, ni à ses collègues, ni à son conjoint.

Marie, quant à elle, se montre curieuse et intéressée par ce sujet. Un sujet auquel elle pense très souvent mais qu'elle n'ose aborder avec personne.


Deux femmes, deux histoires

Marie a grandi dans une ferme avec des parents très occupés. Elle est la cadette d’une fratrie de 4 enfants. Elle travaillait dans les champs ou avec les bêtes comme ses frères et sœurs. Malgré son jeune âge et son statut de cadette, elle ne bénéficiait d’aucun traitement de faveur et devait accomplir les mêmes tâches que les plus grands.

“J’ai grandi dans une ambiance stricte et sévère. Nous devions être utiles, gagner notre croute, mériter notre place. Nous allions à l’école la semaine et le soir et le week-end nous devions travailler.”

Sa maman était dépressive, son papa souvent ivre le soir. Marie ne connait les causes ni de l'un ni de l'autre.

Elle a cependant beaucoup souffert du manque d'affection de ses parents.


Ses frères et soeurs, plus âgés, sortaient et ne s'occupaient guère de la dernière petite soeur. Marie se sentait très souvent seule, livrée à elle-même.

Souvent, le soir, les coups pleuvaient sans que les enfants n'aient pu comprendre pourquoi. Marie se souvient des cris et des pleurs de sa mère et de son père violent.


Deux éducations

A la naissance de sa fille, Marie était la plus heureuse. Son bébé la comblait de joie.


Elle raconte avec enthousiasme cette période de sa vie, elle adorait aller promener avec sa fille dans le landeau, choisir des petites tenues et parler de sa petite merveille aux voisines.


Et pourtant, dès que la petite fille a grandi, a commencé à marcher et à babiller, la maman ressentit un sentiment étrange: elle trouvait sa fille trop mignonne, trop adorable, trop touchante. A tel point qu’elle l'a considérée comme une rivale.

“J’avais l’impression qu’à un très jeune âge déjà, Ophélie voulait plaire et séduire. J’apercevais de la manipulation dans son comportement et un besoin excessif d’attirer l’attention.”

Si Marie refusait de parler de jalousie à l'époque, Ophélie insiste pourtant sur ce point:

“Depuis mes tout premiers souvenirs, maman me houspille en me répétant que non, je ne serai pas la plus jolie, non je ne suis pas la plus sage. Elle répète que quand elle était petite, elle travaillait plus dur que moi, elle était plus gentille que moi, plus serviable, plus polie, plus intelligente… Elle se comparait, et se compare encore aujourd’hui, sans cesse.”

Ophélie affirme également n’avoir jamais pu participer à des fêtes scolaires, à des activités de danse ou à des cours de piscine. Elle était privée de tout contact avec les filles de son école et ne parvenait donc à tisser aucun lien:

“Je ne pouvais inviter personne à la maison. Je ne pouvais pas non plus aller chez les autres ni participer aux spectacles de l’école. Ni prendre des cours de natation. Je ne pouvais pas apprendre à rouler à vélo. Ma maman m’isolait de peur qu’on me complimente. Souvent elle répondait: arrêtez de lui dire qu’elle est jolie sinon elle s’en vante. Ou encore: ne lui dites pas qu’elle est intelligente sinon elle va finir par le penser”.

Avec le temps, à cause des relations qui se dégradaient, Marie a dû faire face à cette réalité.


Elle reconnait aujourd'hui, avec du recul, la difficulté avec laquelle elle a éduqué sa fille.

A l'époque, je n'avais pas le temps ni l'argent pour des activités ou des vêtements neufs. J'estimais que passer tous ses caprices ne lui rendaient pas service. Chacune de ses demandes me semblait excessive. Et puis, lorsque j'entendais qu'on complimentait ma fille, je voulais entendre: ta fille est jolie, elle tient de toi. Moi aussi, j'étais en besoin et en demande de compliments, de mots gentils. A la ferme de mes parents, je n'avais droit qu'à des ordres, à des cris, à des reproches.

A cette époque, Marie n’achetait plus que des vêtements amples, ternes et en seconde main pour sa fille. Plus de robe ni de jupe. Si Marie affirmait qu’il s’agissait d’un manque d’argent, Ophélie ne pouvait le croire tant sa maman était coquette et bien habillée.


Marie tente aujourd'hui de se jusfitier:

“J’ai enfin pu m’acheter des vêtements quand je me suis mariée. J’ai pu m’habiller comme une femme moi qui n’avais jamais porté de talons, n’étais jamais sortie du village. Je ne me rendais certainement pas compte, il y a plusieurs années, que je privais ma fille pour mon profit.”

Ophélie surenchérit:

“Ma maman se maquillait, me demandait si je la trouvais jolie. Elle se pavanait devant moi avec des robes différentes chaque jour en demandant: tu me trouves comment ? Et je devais répondre qu’elle était jolie. Et moi… je portais des pulls de garçons qu’elle avait acheté en seconde main à la voisine.”

Le dialogue entre la petite fille et sa maman devint difficile avec le temps. Marie constatait petit à petit qu'Ophélie se repliait sur elle-même, se faisant silencieuse et refusant désormais tout câlin ou geste affectif.

“Ophélie me rabrouait sans cesse quand je voulais lui faire un bisou, elle me rejetait ou tournait la tête. Elle était secrète et j'étais très maladroite. J’ai grandi dans une famille où les parents ne demandent pas aux enfants comment ils vont, s’ils ont encore faim, s’ils souhaitent aller au cinéma. J’ai tenté de faire autrement avec ma fille... maladroitement..."

Petit à petit, en effet, la petite fille cessa de demander des vêtements ou des copines. Elle devint silencieuse et se sentait coupable de cette relation avec sa maman qui se dégradait.


Au même moment, Marie vivait mal le divorce avec son mari alors qu’Ophélie n’avait que 10 ans. Il partit vivre à plusieurs centaines de kilomètres de chez elles. Très pris par son travail, il était souvent absent de la maison. Son départ sonna comme un abandon pour Ophélie. Et pour Marie comme une trahison.


Une fois adolescente…
“C’est en côtoyant des filles de mon âge que j’ai réellement pris conscience qu’une maman aime son enfant, le protège, le gronde oui, mais l’encadre et l’éduque. J’ai compris avec le temps que me faire à manger toute seule ou regarder ma maman manger n’est pas normal. Devoir la complimenter chaque jour n’est pas normal. Devoir rester cloitrée chez moi sans compagnie de peur qu’on me complimente n’est pas normal. Subir ses reproches constants sur l’absence de mon père n’est pas normal.”

Si Ophélie comprend que sa maman a dû l’élever seule et qu’être une maman solo n’est pas facile, elle reproche à sa mère cette rivalité constante qui lui a pesé et lui pèse encore aujourd’hui.


En voyant sa fille grandir et prendre peu à peu son envol, Marie s'est rendue compte qu'Ophélie était mal dans sa peau. Elle en mesura l'importance et tenta de réagir.

Je pensais agir pour le bien de mon enfant, je n'ai pas perçu sa détresse et je ne me considérais pas comme une mère toxique, jalouse de sa fille et encore moins comme une rivale. Et puis quand Ophélie est devenue une adolescente, j'ai compris que quelque chose n'allait pas... mais je ne parvenais pas à en parler avec elle et je ne savais pas à qui demander conseil.
J'ai manqué à mon devoir de mère... J'ai vu qu'elle était constamment en échec scolaire, j'ai compris qu'elle devait être suivie par une spécialiste pour une timidité excessive, qu'elle ne parvenait pas à se lier d'amitié avec d'autres filles de son âge. C'est difficile de se remettre entièrement en question, de comprendre son enfant, j'ai des torts, oui. Mais je n'ai pas été éduquée pour discuter et à l'époque, on ne parlait pas autant de thérapie. J'aurais dû suivre une thérapie et j'aurais dû apprendre à communiquer avec ma fille.

Au fil du temps, la culpabilité envahit Marie.

Je n'ai jamais voulu nuire à ma fille. Moi-même, j'ai été éduquée dans un contexte difficile, ma maman était dépressive sans que j'ai jamais pu comprendre pourquoi. On ne parlait pas à la maison et on ne s'écoutait pas non plus. Papa était très souvent ivre le soir. Cela peut-il expliquer l'éducation que j'ai donnée à ma fille ? Quand elle était petite, je pensais agir pour son bien, mais j'étais centrée sur moi-même, le temps que je voulais récupérer, tout ce que je n'avais pas reçu quand j'étais enfant. Malgré moi, je réclamais l'attention dont j'avais manqué et j'ai rabaissé ma fille dans ce but.
Actuellement…
“Si elle raconte qu'elle pensait avoir agi pour mon bien, je la laisse s’en convaincre. Pour ma part, j’ai pu me construire une fois délestée de sa jalousie à mon égard”.

Ophélie comprend le comportement de sa maman. Mais éprouve néanmoins une immense rancoeur.

Maman n'a pas été heureuse quand elle était petite. Et je comprends qu'une fois mariée, elle a tenté de rattraper le temps perdu et voulait simplement vivre comme elle l'entendait. J'en patis encore aujourd'hui. Elle est une maman qui a souffert et qui souffre encore aujourd'hui. Et moi, sa fille, qui ai subi sa jalousie durant des années, je souffre encore des conséquences et porterai cela toute ma vie.

Actuellement, mère et fille ont peu de contact et leur relation est superficielle.

Ophélie éprouve la sensation que sa maman minimise ses actes et n'a pas (encore) conscience de l'importance et de la gravité de son comportement.

Marie ajoute:

Je ne pourrai réécrire l'histoire. Je le voudrais, oui. Et je voudrais aussi réécrire la mienne. Evidemment. Quand on grandit avec des parents déficients, on devient peut-être soi-même un parent différent. Pour éviter cela, je pense qu'il faudrait prendre conscience de son mal être avant d'avoir un bébé. Cela permettrait à la personne de se remettre en question et de pouvoir aborder la maternité avec un regard neuf sur sa propre vie. Avoir fait la paix avec son passé permettrait aussi, je pense, de ne pas répéter certains schémas, de ne pas transmettre certaines souffrances.

Encore faut il prendre conscience de ces souffrances et de leurs conséquences éventuelles sur nos enfants, pour entamer ce travail sur soi.


Marie précise enfin qu'elle m'autorise à publier mon article afin de démontrer toute sa bonne foi à sa fille.

Je souhaite que cet article puisse ouvrir un nouveau dialogue entre ces deux femmes qui partagent un point commun: le besoin d'être aimée.


Merci à Marie et Ophélie pour leur sincérité et leur temps <3


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